Sociologue, chercheure et enseignante martiniquaise reconnue, Juliette Sméralda a conduit de nombreuses études sur le thème de l’interculturalité et notamment de la «sociologie de la dominance» qui traite des rapports dominants/dominés.
Rencontre avec une passionnée du genre humain toujours en quête de découvertes sur les Hommes et leur rapport à eux-mêmes à travers leur Histoire et leurs interactions sociales.
Rencontre avec une passionnée du genre humain toujours en quête de découvertes sur les Hommes et leur rapport à eux-mêmes à travers leur Histoire et leurs interactions sociales.
Activilong : Pouvez-vous nous dire ce qui a motivé votre orientation professionnelle ? Etait-ce une vocation ?
Juliette Sméralda : Je suis
passionnée par les problèmes identitaires et sociaux des sociétés antillaises en
particulier, parce qu’elles se posent,
et posent au monde, des défis inédits, du fait de leur multiculturalité et des
formes de domination intergroupe tout aussi inédites qu’elles révèlent au monde,
et qui ne peuvent bien s’appréhender en dehors des paradigmes de l’altérité
extrême, des contacts entre hors-groupes qui n’entretenaient, avant l’esclavage
et la colonisation, aucun lien de proximité et de familiarité.
Etudier la
structuration progressive des liens très arbitraires qui vont se tisser entre
ces hors-groupes, en faveur du groupe dominant protégé par tout un système (social,
économique, politique, culturel), c’est appréhender concrètement les formes
d’adaptation violentes parfois auxquelles le groupe dominé (les esclavagés
africains) a dû se prêter, pour assurer sa survie.
Les recherches sociologiques
et anthropologiques portant sur ces phénomènes manquent cruellement, malgré les
besoins exprimés par les populations de ces régions.
Je tâche donc, avec les
très faibles moyens dont je dispose, d’apporter des éclairages sur ces
phénomènes identitaires, grâce aux outils méthodologiques que me fournissent
les Sciences Humaines…
Vos ouvrages "Peau noire, cheveu crépu. L'histoire d'une aliénation" et "Du cheveu défrisé au cheveu crépu. De la dénaturation à la revendication" sont devenus 2 livres de référence pour de nombreuses femmes dans la compréhension et l'acceptation de leurs chevelures frisées, crépues... Comment, pourquoi avoir choisi le cheveu comme objet d'étude ?
Le cheveu
n’est pas en dehors du corps. Il en est même une composante déterminante, bien
que, par sa position haute, on a tendance à l’en exclure. Il nous relie au
cosmos ; fibre imputrescible, il est l’objet de très nombreuses mythologies,
de croyances, de pratiques magico-religieuses… Sans compter qu’il est symbole
de féminité et participe directement à la mise en valeur du corps !
Ma
réflexion se menait sur le corps dans son ensemble, que j’ai très tôt perçu
comme un territoire sur/dans lequel se déroulaient des luttes d’influence et de
pouvoir parfois inavouables.
On trouve d’ailleurs, dans les stratégies de
domination coloniales beaucoup de références au corps comme objet à dompter, à
réduire au silence, à exploiter, à modifier (voir les théories de l’hybridité
et du métissage qui fleurissent au XVIIIe siècle, chez les théoriciens du
racisme antinégriste)… Le corps – et son cheveu - sont donc éminemment
politiques.
Puisque nous réalisons cette petite interview à l'occasion de la Journée de la Femme, pouvez-vous nous dire en quelques mots, comment vous définiriez la femme d'aujourd'hui ? (Objet, égal ou avenir de l'homme...)
La femme
n’a pas choisi d’être l’égale ou l’inégale de l’homme. Ces théories n’ont donc rien
d’inné. Ce sont au contraire des inventions de sociétés hiérarchisées, qui ont
défini, dans le procès de la socialisation de leurs membres, le statut, le rôle
et la place respectifs de leurs catégories de genre (sexuées).
Le statut
inférieur de la femme et sa relégation consécutive dans la sphère privée (cheftaine de l’espace domestique), s’observent
essentiellement dans les sociétés inégalitaires et patriarcalistes. Toutes les
sociétés n’ont pas classifié leurs membres suivant le même principe, cependant:
dans certaines d’entre elles, le poids des femmes dans la sphère publique est considérable.
La femme d’aujourd’hui
devrait s’inspirer d’une vision large de la place de la femme dans les sociétés
modernes ; s’émanciper des constructions sociales qui les définissent en
dehors d’elles-mêmes, travailler à déconstruire les schèmes d’une féminité
carcan qu’elles devraient s’employer à déconstruire, parce qu’ils les confinent
à la marge des centres de pouvoir. S’appliquer une définition de soi qui intègre
l’idée de partenariat, afin de s’émanciper de la domination masculine (voir
Bourdieu à ce sujet) c’est prendre conscience de l’immense responsabilité qui est la leur
dans l’amélioration des sociétés modernes et dans la marche du monde...
Que ce soit dans
votre vie de femme ou dans votre carrière professionnelle, y-a-t-il une
femme qui suscite (ou a suscité) particulièrement votre admiration ?
Pourquoi ?
Je ne
me suis pas posée la question en ces termes-là, il est vrai, mais je crois bien
que j’ai un regard particulier sur certaines femmes, qui m’ont particulièrement
émue (peut-être inspirée, sans que je sache définir clairement en quoi).
J’ai
d’abord du respect pour toutes ces femmes qui s’impliquent d’une façon ou d’une
autre dans la bonne marche de leur société ; pour celles qui affrontent
l’adversité et le machisme ambiant avec cran, et qui sont donc les
porte-flambeaux de l’émancipation des femmes.
Je suis absolument reconnaissante
à toutes ces femmes africaines (Aminata Traore, Winnie Mandela…) et
afrodescendantes (Angela Davis, La mulâtresse Solitude, les sœurs Nardal (Paulette ici en photo)… et
tant d’autres, indiennes notamment) qui nous ont inscrites et nous inscrivent
encore dans l’histoire des femmes du monde, malgré les résistances de ce monde
à nous reconnaître dans notre entière humanité…
Je me sens
solidaire du combat des femmes de tous les continents en général, bien que je
trouve que certaines solidarités intragroupes restent à cultiver dans les
sociétés multiculturelles.
Je mesure au
quotidien le poids de la pensée de femmes comme Hannah Arendt sur les questions
du pouvoir et des totalitarismes, même si je suis parfois critique de certaines
de ses analyses biaisées par des considérations qui m’apparaissent racistes
dans leurs prolongements…
Dans le
domaine musical, j’éprouve plus que de l’affection pour Whithney Houston,
Mahalia Jackson, Aretha Franklin, mais ce sont là les noms qui me viennent
immédiatement à l’esprit, il y en a tant d’autres !
En cette journée du 8 mars, quel message ou conseil souhaiteriez-vous adresser aux femmes du monde ?
Je suis
persuadée que les femmes comprennent de mieux en mieux les formes de domination
qu’elles subissent. Elles travaillent donc à déplacer le curseur de mentalités
qui n’évoluent sans doute pas aussi vite qu’elles le souhaiteraient. Mais ce
curseur se déplace ! C’est ce que nous montre un regard rétroactif sur
l’histoire…
L’enjeu de l’émancipation des femmes aujourd’hui est donc de s’émanciper
des constructions sociales et sexuées dominantes forgées par la société, pour
se positionner dans leur environnement en tant qu’acteurs sociaux sur qui
reposent l’équilibre et la réhumanisation du monde moderne.
L’éducation, la
formation, l’estime de soi, la volonté d’exister hors des stéréotypes et d’apporter
au monde leur génie, le souci des autres, tels pourraient être les outils et
les postures qui feraient de nous toutes une moitié véritablement utile à
l’humanité…
***
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire